J’habite sur le rond-point de la drogue à Möllan

Ce titre peut paraître un peu racoleur, mais c’est bien le petit nom que porte le rond-point au-dessus duquel se trouve notre appartement à Möllan. En suédois, ça donne knarkrondellen, ce qui signifie littéralement « le rond-point de la drogue ».

À Malmö, l’endroit est connu de tous, pour des raisons qui paraissent évidentes. Mais concrètement, qu’est-ce que ça fait d’habiter dans ce quartier ? Le quotidien est-il difficile ? Ai-je déjà assisté à un règlement de comptes entre dealers ? Des questions auxquelles je tente de répondre dans cet article.

Möllan, le quartier bipolaire

Replaçons le contexte pour ceux qui ne connaissent pas bien Malmö : le rond-point de la drogue se trouve dans un quartier très animé de la ville, Möllan. C’est l’un des coins où les habitants préfèrent sortir le soir car il y a pléthore de bars et restaurants.

C’est aussi l’un des quartiers où tout le monde cherche à habiter depuis quelques années. Möllan est en pleine gentrification, et la liste d’attente pour les appartements est parmi les plus longues de la ville (4 ans et demi en moyenne).

Je ne sais pas vraiment pourquoi ni comment le changement s’est opéré. Toujours est-il que 15 ans en arrière, Möllan n’attirait pas les foules. Il était considéré comme dangereux et donc peu recommandable.

Aujourd’hui, la gentrification lui donne un visage assez bizarre. Les dealers croisent les hipsters, les soûlards se mêlent aux familles bobos et ce, de jour comme de nuit. La population est très diverse mais la cohabitation n’est pas forcément des plus agréables.

Criminalité VS normalité

Je m’explique. Le problème réside surtout dans la présence permanente des dealers, qui font limite partie du paysage à Möllan. Ils s’agglutinent le long de la piste cyclable entre le rond-point et le magasin Coop. Ils sont là, tout le temps, quelle que soit la météo, à attendre le chaland.

Il faudrait être con pour ne pas comprendre ce que ces types-là font toute la journée. Ils ne craignent pas la police et vendent leurs trucs 24/7. Personnellement, je ne me suis jamais fait accostée pour quoi que ce soit. Je ne me sens pas en danger quand je passe par là (et j’y passe tous les jours).

Le problème c’est qu’aussi courtois soient-ils, ces gars-là traînent toujours dans les parages, jettent parfois leur matos dans les cours d’école et les buissons, se protègent du froid sous le porche d’une maternelle…

En bref, ils investissent les lieux publics avec leur business, là où tous les gens normaux voudraient juste faire des trucs normaux, genre s’asseoir sur un banc ou aller chercher leur gamin à l’école sans avoir quelqu’un qui leur demande s’ils veulent de la beuh. Des attentes somme toute assez normales quand on y pense.

Déplacer le problème

Malgré le tollé qu’a provoqué la fameuse fake news de Donald Trump en février dernier au sujet d’un attentat qui n’avait pas (encore…) été commis, il avait raison sur un point : il y a de la criminalité en Suède, et les médias n’aiment pas en parler. C’est à cause de leur tendance au politiquement correct, qui s’exprime à tous les niveaux de la société.

Et ce qui se passe à Möllan, mais plus généralement à Malmö, est assez symptomatique de cette volonté d’oblitérer le problème pour le déplacer sur autre chose. Deux exemples me viennent à l’esprit.

Le premier, c’est l’état du rond-point susdit. Quand nous emménageons à Möllan en août 2016, le rond-point est véritablement la plaque tournante (vous l’avez ?) du trafic à Möllan.

Les dealers squattent les bancs en permanence, et le reste de la population passe sans lever les yeux. Il y a de jolis bosquets de fleurs, et de beaux panneaux qui s’illuminent la nuit, mais personne n’en profite jamais à cause de la présence pesante des criminels (bon, j’exagère un peu avec ce mot mais c’est pour pas répéter dealers tout du long…). Quand il fait froid ou qu’il pleut, ils s’agglutinent sous le porche de la maternelle qui se trouve là. Les parents se plaignent, bien sûr.

La ville de Malmö est bien mécontente de cette situation. Alors que fait-elle ? Et bien, elle installe des caméras de surveillance sur le rond-point, arrache les bosquets de fleurs, pense un moment déplacer l’école de quartier (le comble) puis se ravise avant de choisir de coller une grille au porche. Problème réglé, n’est-ce pas ?

Le truc qu’elle oublie dans l’équation, c’est que les dealers ont des jambes, et qu’ils s’en servent pour se déplacer… dix mètres plus loin. Et je n’exagère même pas. Alors certes, le rond-point est aujourd’hui réinvesti par les habitants. Mais il suffit de tourner la tête pour retrouver les mêmes gars vendant leur même came dans la rue d’à côté.

La faute aux habitants

Le deuxième exemple est plus triste. Le 12 février dernier, un dimanche, à 18h40, un jeune de 23 ans est tué par balle sur Möllevångstorget, la place principale de Möllan, à deux pas du rond-point. Le meurtre est lié au trafic de drogue, comme c’est quasiment toujours le cas pour les crimes violents à Malmö.

Le lendemain, le ministre de l’Intérieur Anders Ygemans se rend sur place et déclare (entre autres) que c’est aux habitants de prendre leurs responsabilités. Il dit notamment que taper un rail de coke ou aller se faire couper les cheveux chez un coiffeur pas cher, c’est la même chose, les deux contribuent à la criminalité à la même échelle.

En plus de rejeter la faute sur les habitants, le ministre réussit en une seule phrase à aussi stigmatiser une partie de la population déjà pas forcément favorisée en temps normal : les immigrés. Car c’est bien d’eux dont il s’agit ici : les immigrés qui montent un business à Möllan et qui ne s’alignent pas sur les prix exorbitants des coiffeurs suédois. Des types qui bossent tout le temps, souvent dimanches inclus, et qui n’ont rien demandé à personne.

Mais une fois encore, il est plus facile de déplacer le problème et de jeter l’opprobre sur quelqu’un d’autre plutôt que d’admettre qu’on a échoué à protéger la population.

Un endroit dangereux ?

Selon moi, Möllan n’est toutefois pas un endroit dangereux au quotidien. Ce n’est pas forcément le quartier le plus agréable à vivre à Malmö mais ça n’a rien à voir avec le trafic. Il s’agit plutôt d’un problème de bruit dû à la proximité des bars et restaurants (et à mon sommeil léger et mes horaires de vieille bique, d’accord, bon).

Il y a aussi bien sûr une tripotée de Jackies qui roulent à fond dans les rues de Möllan avec la musique au maximum, à toute heure du jour et de la nuit, ne les oublions pas ceux-là, car ils nous font tout autant chier.

Mais en tant que femme, je me sens à l’aise à Möllan, dans le sens où je n’ai pas peur de me balader seule (c’est pas le cas partout…).

Il faut aussi noter les efforts faits par la ville pour repousser le trafic en dehors de cette zone. Alors que les dealers se sont déplacés le long de la piste cyclable à Folkets Park, les initiatives pullulent pour faire de ce passage un endroit où passer du temps en famille et entre amis : le Cykelsafari pour les petits, Street Food Malmö pendant tout l’été, une nouvelle lampe-banc (cf. photo, là je sais pas trop, mais bon).

Les animations et activités rendent la vente de came plus difficile, évidemment. Et de toute façon, c’est la direction que prend Möllan, et c’est cette facette que la ville va chercher à développer, pas celle du quartier ghetto où il est facile de se procurer son gramme. Möllan est déjà hipster et gentrifié, le processus est bien entamé et ne s’arrêtera pas.

Ce qui, en soi, est une bonne nouvelle pour les habitants qui ne souhaitent qu’y vivre tranquillement. Mais qui ne règle absolument pas le problème du trafic à Malmö, s’entend.

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