La vie sociale suédoise : l’enfer, c’est les autres
Je vous ai déjà parlé dans un article de la difficulté que j’ai eue à me faire des amis en Suède. Je sais pas si vous avez fait gaffe, mais la majorité de ce que j’écris contient en essence la raison de ce problème : les Suédois eux-mêmes.
Alors calmez-vous tout de suite, je ne compte pas basher 10 millions de personnes dans un seul et même article. Nan, je vais plutôt vous décrire mon expérience de la vie sociale suédoise et je pense qu’après ça, vous comprendrez mieux pourquoi je n’ai qu’une seule vraie pote locale.
Les amis de mes amis ne sont pas mes amis
L’un des premiers traumatismes liés à la vie sociale suédoise a lieu lors d’une soirée d’Halloween. C’est ma première soirée 100 % suédoise. Martin et moi sommes invités chez un couple d’amis de son frère, et je me dis que ça va super bien se passer puisque nous les connaissons déjà. Nous allons discuter avec les gens et peut-être même bien accrocher avec certains ! Ahah, suis-je naïve.
J’entre dans la maison et me dirige vers la véranda où une demi-douzaine d’invités sont déjà installés. Tout le monde est assis autour de la table (rester debout pour discuter constitue une aberration en Suède) avec son verre en face de soi.
À ce moment-là de ma vie, je ne parle pas bien suédois, je lance donc en anglais : « Salut, moi c’est Marine, je suis française et je parle bof suédois alors ce sera anglais ! »
Et là, je me prends le plus gros vent de toute ma life. Pas une seule personne ne répond à mon bonjour. Intérieurement, je pleure, mais comme on est là pour plusieurs heures, j’essaie de garder ma contenance. La soirée va être longue.
Avec de l’alcool, ça va mieux
Les heures passent et je fais bonne figure. Je ne suis pas de nature quelqu’un qui boit beaucoup, je reste donc assez lucide toute la soirée et je constate que l’ambiance change peu à peu. L’alcool commence à détendre les esprits et à décoincer les derrières. Je finis par apercevoir des signes de spontanéité et d’aisance, des regards intéressés et des discussions animées.
La vie semble gagner le corps des locaux qui agissent enfin comme des personnes normales. Dommage qu’il soit déjà 2h du matin et qu’il faille 4 grammes dans chaque bras pour obtenir un semblant de naturel chez les Suédois… Moi j’ai ma dose, on se casse.
Mais avec des gens sympas, ça fonctionne aussi
J’ai raconté cette histoire à plusieurs personnes, dont beaucoup d’étrangers. Certains m’ont répondu que je n’avais pas eu de chance, d’autres m’ont dit qu’ils avaient vécu exactement la même chose. Je dois ajouter que ce n’est pas la seule soirée suédoise pendant laquelle j’ai vraiment eu le sentiment d’être un meuble, et que ça m’a un peu vaccinée.
Pour vous donner un point de comparaison, j’ai récemment été invitée par ma collègue argentine pour son anniversaire. Première remarque : c’est la seule collègue qui ne m’ait jamais invitée chez elle EVER.
Deuxième point : son appart était plein d’internationaux pendant cette soirée, et à aucun moment je ne me suis sentie mise de côté. J’ai été prise dans des discussions dès les cinq premières minutes et je n’ai pas arrêté de papoter de toute la soirée. Pourtant, je ne connaissais absolument personne sauf elle et son copain. Coïncidence ? Je ne pense pas.
La vie sociale au travail
Continuons notre petit tour de la vie sociale suédoise avec un endroit où l’on passe en général beaucoup de temps : le travail.
L’une des choses qui frappent le plus un Français qui bosse dans une boîte suédoise, c’est sans doute la pause midi. Pour moi, il s’agit d’un moment de convivialité où l’on peut discuter de choses et d’autres non liées au travail, profiter du temps imparti pour glandouiller un peu et recharger les batteries pour l’après-midi.
Autant dire qu’en Suède, ce n’est pas exactement ça. Chacun emmène son tupp’ ou va chercher quelque chose à l’extérieur, puis revient manger dans la cuisine du bureau. Moment idéal pour discuter, n’est-ce pas ? Non.
Même avec 5 pelos attablés au même endroit, il peut se passer facile vingt minutes sans que personne n’ouvre la bouche (sauf pour manger, s’entend). Les téléphones portables sont omniprésents et collés à la main de leur propriétaire.
On mange rapidement pour ne pas être confronté trop longtemps à l’Autre, et aussi pour pouvoir partir plus tôt l’après-midi.
Ne pas mélanger travail et vie privée
Il semble aussi difficile de passer au-delà du cadre du travail avec ses collègues. Personnellement, je n’ai jamais eu aucun problème à franchir cette ligne car je trouve ça vraiment chouette d’avoir de vrais amis au travail.
Mais en Suède, d’après mon expérience, on ne mélange pas travail et vie privée. La seule personne avec qui ça arrive, c’est ma collègue argentine… qui n’est donc pas suédoise. Avec elle, j’ai fait un double-date, du crossfit, un anniversaire, de l’escalade…
C’est aussi une des rares personnes dans ce pays qui fait vraiment ce qu’elle dit. Car oui, c’est aussi une caractéristique de la vie sociale suédoise : on dit qu’on va faire ci et ça, et qu’on va se voir bientôt et patati et patata, mais vous savez quoi ? Il ne se passe jamais rien. Levez les yeux au ciel en Suède, vous verrez beaucoup de paroles en l’air…
Faire des jeux pour faire genre
Je pense que les Suédois se rendent très bien compte de leur difficulté innée à avoir des rapports sociaux normaux (ceci est une hyperbole). C’est pour ça qu’ils aiment organiser des jeux dès qu’ils le peuvent. Mais pas n’importe quels jeux, noooon. Des jeux en équipe. Avec des équipes aléatoires.
Alors, ne vous méprenez pas : j’adore les jeux (la preuve ici), aussi bien en équipe qu’en individuel. En revanche, je trouve ça assez hallucinant qu’il faille organiser un jeu lors d’une soirée normale, que l’on soit obligé d’y participer et qu’en plus, on ne puisse pas choisir ses équipiers.
C’est chiant, ça coupe court à toute discussion qu’on serait potentiellement en train d’avoir, et ça ne change rien au fait que les gens n’en ont rien à foutre des autres.

Un exemple : l’année dernière au Nouvel An, quelqu’un (qui se trouve être professeur des écoles, c’est peut-être pour ça) a organisé un quizz de culture sur le thème de la musique.
Là je vais vous demander de fermer les yeux cinq minutes et d’imaginer une soirée de Nouvel An où soudainement quelqu’un dit « Bon, c’est l’heure du jeu, toi tu te mets avec Machin et Truc, vous vous connaissez pas c’est normal, ON A FAIT EXPRÈS », vous demande de débattre pendant 45 minutes avec des inconnus sur un sujet que vous ne maîtrisez absolument pas, et attribue des points pour chaque bonne réponse trouvée. Ça a l’air horrible, hein ? Spoiler : ça l’est.
Pour moi, c’est le signe que les hôtes sont persuadés que la soirée va être nulle à chier et qu’ils doivent impérativement divertir leurs invités avec des activités organisées.
Ah, au cas où vous vous posiez la question : oui, c’est pareil au travail. Les jeux, les speed dating entre collègues pour apprendre à se connaître, les équipes aléatoires et autres joyeusetés sont apparemment indispensables au bon fonctionnement d’une boîte.
Un autre exemple tout récent : je suis invitée à la soirée de Noël de ma future entreprise (je change de travail en janvier) et je ne connais personne, mais je décide d’y aller pour rencontrer mes futurs collègues.
Durant l’apéritif, je fais donc la connaissance de l’équipe, je papote gaiement, tout se passe super bien, jusqu’au moment où on nous intime de nous rendre dans la salle d’à côté où le dîner va être servi. Et là, HORREUR : avant d’entrer, chacun doit tirer un bout de papier avec le numéro, aléatoire, de sa table. J’ai le seum, et ça me gâche quand même beaucoup la soirée. Mais j’aurais dû m’en douter…
La vie sociale dans l’espace public
Le dernier environnement dans lequel il vaut la peine de s’intéresser aux attitudes sociales des Suédois, c’est bien sûr l’espace public, éminent exemple de l’individualisme d’une société où l’on évite du mieux qu’on peut le contact avec l’autre.
Je vous ai déjà parlé de mon expérience socio-anthropologique du sport, je n’y reviendrai donc que brièvement. En gros, la salle de sport est désespérante quant aux rapports sociaux : personne ne parle à personne, les gens s’ignorent totalement, et si vous pensiez pouvoir demander à votre voisin de vous spotter pendant votre benchpress, vous vous mettez le doigt dans l’œil jusqu’au triceps.

L’autre endroit rigolo à observer, c’est l’arrêt de bus : je n’ai jamais vu une distance aussi grande entre chaque individu à un arrêt de bus. Même lorsqu’il fait moche, certains préfèrent rester en dehors de l’abribus plutôt que de se tenir trop près des autres. Le moins qu’on puisse dire, c’est que la notion d’espace vital est respectée à la lettre en Suède !
Ce qui ne les empêchent pas de se mettre tout nu et de s’asseoir fesse à fesse au sauna, mais ça c’est une autre histoire…
19 Commentaires
Salut Marine, super sympa ton article, kom dab!
C’est effectivement l’impression des Français en général qui vont en Suède. IL faut voir différemment : Au lieu de dire : Salut, moi c’est Marine, je suis française et je parle bof suédois alors ce sera anglais ! tu pourrais dire que tu es Marine (correct) que tu ne parles le suédois que moyennement (correct aussi), que tu es désolée, mais que tu apprends cette belle langue et que tu proposes à tes voisins de parler anglais. Sans affirmer “ce sera l’anglais”. Essaie de lire la Jantelagen ou loi de Jante. Le meilleur passeport pour une vie heureuse en Suède et en Scandinavie.
Je te souhaite le meilleur séjour possible.
Ha det så bra !
Merci Jean-Marie !
Tu as tout à fait raison, et d’ailleurs je vois la différence car je peux maintenant commencer une conversation en suédois et switcher en anglais si je ne comprends pas bien, ce qui change pas mal la donne. Merci pour la référence, je note ça car ça a l’air super intéressant !
Detsamma :)
Je suis d’accord avec Jean-Marie. Les français (y’en a beaucoup ici) ont tendance à “imposer” trop leur façon de faire, sans prendre le temps de réfléchir et prendre du recul et analyser leur culture par rapport à la nouvelle culture où il se trouvent. J’ai rarement vu ce comportement chez les immigrants de d’autres cultures… Ceci étant dit, j’apprécie beaucoup votre partage culturel que vous rédigez ici et je vous remercie!
Tout à fait l’image que je me suis fait de la vie sociale en Suède à travers tes précédents articles ( qui sont très sympa ) . J’espère pouvoir venir constater par moi même l’année prochaine.
Hahaha , je suis désolé de voir qu’ils sont si coincés. Chaque fois je rentre l’envie de les secouer ne manque pas. Il ne faut pas croire que c’est l’indifférence , mais plus tôt comme pour vous, un peu la honte de pas parler votre langue. Il ne faut pas oublier que c’est un peuple ou c’est marqué JAG sur le front. Quant ils ne metrisent pas ils sont perdus.
Bon courage à vous tous. , (moi je ne quitte pas la Bretagne.)
Ton commentaire m’a bien fait rire Helena :D
Ahaha plutôt d’accord sur l’expérience vécue et le constat mais en désaccord sur l’interprétation :). Moi les jeux j’adore et je trouve ça… comme toujours avec les suédois… plutôt honnête de leur part. Ils savent qu’ils vont pas être sociable naturellement donc ils ont trouvés un remède (et pas que l’alcool) donc pourquoi pas :). C’est aussi plus facile de s’intégrer dans un jeu en tant qu’etranger que parfois de suivre une conversation avec un suédois approximatif. Donc je vote pour (tu es prévenue pour la prochaine soirée chez nous, on fera un jeu spécial Marine.. :p)
Le truc que j’ai jamais compris c’est pourquoi ils ne valuent quasiment que les amitiés créés depuis l’enfance, “les vraies”… (!)
Encore des choses à explorer !
Ok pour le jeu si on peut choisir les équipes xD
Bonsoir Marine
je suis arrivé à Malmö une vingtaine d’années avant toi ; j’ai souvent eu les mêmes impressions, les mêmes expériences, notamment la Kräftskiva codifiée jusqu’au ridicule et qui sombre dans la débauche au fur et à mesure des toasts. Il n’y a qu’un détail avec lequel je ne suis pas d’accord : tu mentionnes une hyperbole (sur les rapports sociaux normaux) mais ce que tu écris n’est pas une figure de style, c’est un simple commentaire ethnocentré :-) et si cela était une figure de style, ce serait plutôt l’inverse, c’est-à-dire une litote, car les Suédois nous semblent, à nous Francais, de véritables handicapés du rapport social. Courage ! Fred (qui a vu le lien mis en ligne par Jens sur Machin discussions)
Mais alors, est-ce que ça s’arrange ce sentiment après 20 ans passés en Suède ?
Non. Comme toi je n’ai, parmi les tribus locales, qu’un ami vraiment proche (il est imprégné de culture francaise) mais je ne nie pas ma part de responsabilité dans cet échec. Je n’ai pas voulu me fondre dans le décor, c’eut été difficile mais faisable. En fait, il s’est produit l’inverse. Je me suis senti de plus en plus Francais. C’est comme si ma culture avait trouvé sous ces latitudes le terreau idéal.
Cela fait 30 ans que j’habite en Suéde et j’ai beaucoup d’amis suedois très ouverts, pas de jeux, bra contact même sans alcool. Au travail discussion animées au fika et à midi même sur des sujets privés. Peut-être que j’ai appris les codes. Par contre ma fille qui est née en Suéde fait les mêmes expériences que toi aux fêtes mais elle a fait aussi la même expérience à une rencontre de français à Malmö. Elle essayait de participer à la conversation en français et tout le monde l’ignorait.
Ce n’est pas très rassurant de lire tout ça, j’avoue. Moi qui travaille dans le tourisme et qui ait le contact facile, je pensais pouvoir rencontrer des gens lors d’activité sportives ou en fréquentant régulièrement les mêmes lieux. Les premiers mois sans travailler et sans comprendre le suédois vont être difficile !!! ?
Merci pour cet article! Je suis à moitié rassurée! Arrivée en Suède depuis 6 mois, je vis une vraie indifférence au boulot. Tout le monde fait sa vie et se fiche des autres. Je croyais que les Suédois valorisaient l’équipe? J’organise souvent des fikas, des moments d echange car sinon comme nous n’avons pas de bureau attitré, on ne se voit pas pendant des jours (alors que l’on est tous dans le même batiment). Recemment, j’ai eu un accident qui nécessitait de la chirurgie, j’ai été hospitalisée et personne (sauf un collègue Autrichien), personne même pas ma chef n’a pris des nouvelles. J’ai râté une journée d’équipe et je n’ai pas eu de petit message ou autre. Il règne une indifférence totale….Surtout que depuis 6 mois je me bats pour essayer de mettre du liant dans cette équipe. Je comprends donc maintenant que tout ça est normal!!!
Mon dieu mais ça a l’air horrible l’esprit d’équipe dans ton entreprise ! Je viens de changer et pour ma part, c’est beaucoup plus sympa, j’ai eu le droit à des ballons et des mots gentils pour mon anniversaire, j’étais agréablement surprise ! Vous êtes combien dans ta boîte/équipe ?
Comme quoi c’est peut etre plus lie aux personnes qu’aux Suedois. Il y a des gens individualistes partout j’imagine!!! Ne faisons pas de generalites… En tous cas, c’est rassurant de savoir que pour toi l’ambiance est bonne, c’est donc possible :-)!!! Je suis juste mal tombee!!!
Haha! Je vis la même chose à Québec figure toi! Peut-être qu’en fait, ce sont les français qui sont trop hum, comment dire, ouverts? Je ne sais pas si c’est le bon terme. Mais oui, je vis la même chose au Québec, à la différence qu’ici les gens ont l’air ultra gentils et open, mais j’ai l’impression que c’est purement de la façade pour la majorité… Si on leur propose de se revoir ou de faire des choses ils vont répondre “oh ouin aucun probleme ça ferait plaisir” mais ils esquivent touuut le temps XD Quelque soit le job que j’ai pu faire là bas, je n’ai jamais reçu d’accueil, personne n’essaie de me poser des questions (quand je leur en pose chaque jour à chaucun, pour m’intéresser à eux et créer des liens tsais…) Bref je trouve ça assez weird, peut-être que c’est simplement la ville de Québec comme ça. Beaucoup d’amis étrangers ici on le même ressenti, et les français restent majoritairement entre eux on dirait. Une autre amie qui est Polonaise vit la même situation en Ecosse… Anyway, j’ai prévu d’immigrer en Suède, je serai pas trop dépaysée alors! Je m’en vais découvrir ton blog =)
Merci d’être passée sur le blog Claire-Ophélie, et désolée d’apprendre que tu vis la même chose à Québec ! Moi qui pensais que c’était purement suédois… Effectivement, tu ne seras pas dépaysée ici, ahah ! Dans quelle ville vas-tu emménager ?