La Suède, le coronavirus et moi
Mettons les choses au clair dès le départ : je n’écris pas cet article dans le but de démontrer quoi que ce soit. Je ne vais pas analyser les chiffres officiels, ni vous faire de belles visualisations montrant la courbe de contamination. Je ne suis pas épidémiologiste, je ne connais rien à la médecine et je ne suis pas quelqu’un de politisé.
Non, si j’écris cet article, c’est parce que je reçois en ce moment beaucoup de questions sur l’impact du coronavirus sur notre vie quotidienne ici en Suède. Alors je vais faire comme je fais d’habitude sur ce blog : je vais vous parler de ma vie, sans aucune autre intention de partager avec vous mon ressentiment sur la situation.
Une société non-confinée
Il faut bien sûr commencer cet article par le sujet qui fâche et qui interroge le plus : le confinement. Depuis le début de cette épidémie, la Suède enregistre des cas de contamination et des décès. Mais contrairement à la majorité des pays d’Europe, le gouvernement a choisi de ne pas confiner la population.
À l’heure où j’écris ces lignes, dimanche 12 avril, nous sommes tous libres de nous déplacer où bon nous semble dans le pays.
Le gouvernement a interdit les réunions de plus de 50 personnes et le service au bar, et il a fermé les lycées et écoles supérieures. En dehors de ça, aucune loi ne modifie notre vie quotidienne comme c’est le cas en France par exemple.
En revanche, le gouvernement a annoncé des recommandations à suivre, et je crois que c’est là que se trouve la grande différence avec tous les autres pays. Au lieu d’imposer quoi que ce soit à la population, les dirigeants enjoignent fortement les Suédois à suivre ces recommandations afin de ralentir la propagation du coronavirus.
La responsabilité individuelle est ce sur quoi le premier ministre Stefan Löfven a d’ailleurs insisté dans son discours du 22 mars : rester chez soi au moindre symptôme de rhume, ne pas rendre visite aux personnes âgées, s’entraider dans la mesure du possible, et ne pas céder à la panique.
Rien ne change alors ?
Là vous vous dites sûrement que nous vivons notre vie normalement et que rien n’a changé, concrètement. Ce n’est pas tout à fait faux, car la conséquence direct de l’approche du gouvernement suédois, c’est qu’elle laisse une liberté énorme à chaque individu, mais aussi à chaque entreprise de prendre les mesures qu’elle juge nécessaires.
Or tout le monde redoute un crash économique global. Donc, si les entreprises ne sont pas obligées par la loi de fermer, elles vont, pour la plupart, rester ouvertes et continuer leur activité autant que faire se peut. Et ça, ça a forcément un impact direct sur notre vie.
Par exemple, Martin doit encore aller au bureau tous les jours. Il est développeur dans une entreprise qui bosse avec des projets sensibles et confidentiels, sur un réseau ultra protégé. Travailler de la maison n’est pas une option, malgré le fait qu’il soit dans l’IT.
Pour ma part, je bosse de la maison à 100 % mais seulement depuis une dizaine de jours. Avant ça, mon entreprise avait mis en place des roulements : une partie de l’équipe vient au bureau tels jours de la semaine, et l’autre partie le reste du temps. Le service client a été dispatché dans l’ensemble des bâtiments en petits groupes et ils ont interdiction de se mélanger pour éviter tout risque de contamination.
En ce qui concerne le sport, nous continuons d’aller nous entraîner car aucune salle n’a fermé. Enfin… une salle de sport (SATS) a fermé au tout début de l’épidémie et a rouvert ses portes 3 semaines plus tard en réalisant qu’aucune mesure de confinement n’était prise par le gouvernement (et qu’elle perdait un max d’argent alors que les autres salles récupèraient leur clientèle… ).
Dans ma salle, des sprays contenant de l’eau javellisée sont à disposition partout et les règles de distanciation et de nettoyage (de mains mais aussi d’équipement) sont placardés sur tous les murs.
En revanche, les entraînements de groupe ont toujours lieu, certes en plus petit nombre, mais quand même. Personnellement je n’y participe plus depuis début mars, et je m’entraîne uniquement le matin, très tôt, pour éviter tout contact avec les gens (ok, c’était déjà ma stratégie avant le coronavirus, ahah).
L’ambiance générale
Comme je l’ai dit plus haut, la tendance en Suède est donc à la responsabilité individuelle, ce qui, en théorie, devrait plutôt bien fonctionner car il s’agit d’une société extrêmement individualiste (à la limite de l’égoïsme mais ça c’est une autre histoire).
On peut donc s’attendre à ce que chacun prenne les mesures nécessaires pour ne pas contaminer les autres et fasse de son mieux sur le plan personnel pour ralentir la propagation de l’épidémie.
Mais il y a deux facteurs qui, selon moi, vont à l’encontre de cette théorie. La première, c’est l’autre versant de l’individualisme, celui qui crache à la gueule de la responsabilité individuelle vis-à-vis du collectif et qui préfère satisfaire ses propres envies plutôt que de se sacrifier pour le bien-être général. Cette facette est visible aux terrasses des bars et restaurants, dans les parcs et les jardins publics : les Suédois continuent de s’y entasser sans problème.

Ce qui m’amène à parler du deuxième facteur, bien plus élémentaire : le printemps, et le retour de la lumière.
Je pense qu’il est difficile d’imaginer l’impact de l’hiver suédois sur la population quand on ne vit pas sur place. Comme je l’ai expliqué dans cet article, l’hiver en Suède se caractérise par des journées très courtes (oui, plus courtes qu’en France) et un manque de lumière absolument débilitant. L’hiver commence tôt dans l’année et a tendance à s’éterniser.
Les journées qui rallongent et le ciel qui s’éclaircit constituent une véritable renaissance pour la société suédoise et croyez-moi, je pèse mes mots.
J’étais moqueuse lorsque je suis arrivée en Suède, encore pleine de vitamine D après deux ans et demi passés à Saigon. Je ne comprenais pas ce besoin de passer la journée dehors et de mettre des mini-shorts quand la température avoisine seulement les 12 degrés.
Aujourd’hui, je suis devenue comme ça. L’hiver suédois me déprime et me semble interminable, et je ne pense qu’à une chose : être dehors au moindre rayon de soleil.
Ce n’est pas une excuse ceci dit, et la Suède est un pays assez grand pour pouvoir prendre le soleil en extérieur sans être collé aux autres. Alors qu’est ce qui explique cette attitude franchement désinvolte ?
Les chiffres du Covid-19 en Suède
Vous avez peut-être lu ou vu des articles traitant de cette question à un million. Je ne vais pas prétendre avoir la réponse mais je vais essayer de vous expliquer ce que j’en pense, basé sur ce que je vois autour de moi, ici en Suède.
D’abord, parlons des chiffres. Je sais, j’ai dit en intro que je n’irais pas en détail là-dedans mais il faut quand même étoffer le propos avec quelques faits. À l’instant T, voici les chiffres officiels du coronavirus en Suède (source Folkhälsomyndigheten) :
- 10 483 cas confirmés
- 899 décès
Cela nous fait donc un taux de mortalité d’environ 9 %. Pour rappel, il y a 10 millions d’habitants en Suède. Pour vous donner un ordre d’idée, c’est 2 millions de moins que le nombre d’habitants en Île-de-France, sur un territoire 37 fois plus grand.
Si je vous parle de la population et de la superficie suédoise, c’est parce qu’il s’agit d’un argument récurrent dans la bouche des Suédois pour expliquer le non-confinement : on a de la place, on ne vit pas sur les autres, l’épidémie est automatiquement ralentie par ce facteur de distance géographique. Soit, mais la Norvège a un territoire comparable (un peu plus petit) et une population de seulement 5 millions, et ils ont quand même opté pour le confinement.
L’autre fait, c’est que le virus s’est effectivement répandu en Suède, avec un gros foyer de contamination à Stockholm, et que le taux de mortalité est hyper haut (0.02 % en Corée du Sud en comparaison). D’aucuns diront que tout cela est bien normal puisque le gouvernement teste avec parcimonie. Soit.
Là où les problèmes commencent à émerger, c’est quand on regarde ce qu’il se passe dans les maisons de retraite, là où sont bien sûr concentrés les groupes à risque : les vieux.
Le 2 avril, la radio suédoise (Sveriges radio) met en avant une information importante : environ 30 % des communes suédoises (l’équivalent en France des zones urbaines ou communauté de communes) ont détecté des cas de Covid-19 dans leurs maisons de retraite. À cette information, l’épidémiologiste officiel Anders Tegnell commente : « C’est très regrettable. » (Det är väldigt olyckligt.)
L’interdiction de visiter les maisons de retraite était déjà en place avant la diffusion de cette information, mais pas depuis le tout début de l’épidémie. Un délai qui a sans doute participé à la propagation du virus dans ces maisons de retraite où le personnel doit, dans tous les cas, aller et venir.
La prérogative principale du gouvernement depuis le début de cette crise, protéger les populations à risque, semble donc avoir échoué. Et pourtant…
La confiance absolue
Et pourtant rien ne se passe. Chaque dimanche avec Martin, on fait le bilan et on se dit : « Non mais la semaine prochaine, c’est obligé, ça part en couilles. » Et chaque semaine, on hallucine de voir que notre vie peut continuer normalement alors que tous nos voisins européens sont cloîtrés chez eux.
Mais ce qui me dépasse le plus, c’est cette confiance absolue dans les choix que fait le gouvernement. Personne ne doute du bien-fondé des (non-)mesures prises par les dirigeants. Personne ne se tente à critiquer ce qu’Anders Tegnell dit.
Pourtant, les médias suédois ne cachent pas la situation dans laquelle le pays se trouve. Ils ne se déclarent pas ouvertement contre mais ils ne cherchent pas à embellir le tableau non plus. L’information est là, disponible à tous. Mais comme le message officiel est celui du calme et de la rationalité, c’est cela qui se reflète dans les médias, et par conséquent, dans l’esprit des Suédois.
Certains me demandent comment va ma famille en France. J’explique que c’est une situation difficile, le confinement. À quoi on me répond en général :
- En même temps vous êtes hyper nombreux
- En même temps vous vivez les uns sur les autres
- En même temps votre hygiène bof bof
- En même temps vous vous faites la bise tout le temps
Pour essayer de me faire comprendre que ce confinement, c’est bien nécessaire pour ce peuple de sauvageons. Alors que les Suédois, respectueux et responsables comme ils sont, pas besoin de leur dire quoi faire, hein ! Ah ces gens parfaits…
Un mal pour un bien ?
Je critique mais j’ai deux-trois trucs à vous avouer pour que vous compreniez vraiment l’état d’esprit dans lequel je suis actuellement.
En tant que Française, je suis un peu stressée, j’ai peur de ne pas pouvoir voir ma famille avant hyper longtemps, j’ai peur pour mes grands-parents, j’ai peur de perdre mon travail (mes collègues pensent que je suis tarée de penser à ça) et je m’inquiète des effets du confinement sur mes proches.
Mais à côté de ça, je vis en Suède, où tout le monde est assez détendu vis-à-vis de la situation. Ne vous méprenez pas, la plupart des gens que je côtoie se sont isolés d’eux-mêmes et évitent de sortir s’ils savent qu’ils risquent d’être en contact avec d’autres personnes. Les habitudes des Suédois ont donc quand même changé (un peu).
Mais personne ne semble avoir cédé à la panique, et il est encore possible d’avoir des discussions qui ne tournent pas autour du coronavirus. Mes proches et amis en Suède ne diffusent pas de fake news sur les réseaux sociaux ni ne partagent des articles complotistes.
Certes, les gens ici ne s’avancent pas à critiquer la politique actuelle du gouvernement et il est quasiment impossible d’avoir un débat avec eux mais au moins, ils ne sont pas sans cesse en train d’essayer de trouver LA preuve que tout ça c’est pour nous enfumer, nous les pauvres petits travailleurs. Un sujet que j’avais d’ailleurs abordé dans l’article sur les gilets jaunes en 2018…
Cette différence est vraiment flagrante quand on a le cul entre deux chaises comme c’est mon cas en ce moment : d’un côté la France et les Français persuadés que MACRON VEUT NOTRE MORT et de l’autre les Suédois, attendant gentiment de savoir quelles sont les prochaines mesures prises par le gouvernement qui, c’est sûr, ne souhaite que le bien de la population.
Et je dois dire que c’est apaisant, de ne pas voir le mal partout, tout le temps, et de simplement essayer de faire confiance à ceux qui nous dirigent.
Je ne vais pas vous mentir, je lis quand même une tonne d’articles de presse étrangère sur le virus et la majorité démonte la stratégie suédoise, parlant d’une immunité de groupe impossible à atteindre rapidement sans noyer l’intégralité du système de santé (ce qui se tient, évidemment).
Mais notre cher Anders Tegnell, l’épidémiologiste en chef, a démenti plusieurs fois cette approche, parlant plutôt de la réalité de la propagation du virus dans l’ensemble de la société, mais de manière très progressive (oui, c’est le moment où vous êtes censés visualiser la courbe de contamination qui s’aplatit, celle que tout le monde a vu au moins 48 fois depuis le début de cette crise).
Dans cette vidéo (en suédois), il explique que l’immunité de groupe est le seul moyen de venir à bout du virus, mais qu’il ne s’agit pas d’un objectif à atteindre le plus vite possible, bien au contraire.
Bref, en attendant de voir l’évolution de cette épidémie, j’ai pour ma part décidé de vivre ma vie en évitant le contact avec les autres et en m’échappant aussi souvent que possible de la ville pour aller me balader en nature – tant qu’on en a encore le droit.
Ah et aussi de fact-checker TOUT ce qui passe sur le Facebook de mes proches en France.
Si vous aussi, vous voulez vous amuser au jeu du info/intox, voici 2 sites à consulter :
- Observers de France24, en français
- International Fact-Checking Network et son site Poynter, avec une catégorie dédiée au Covid-19 tellement il y a de conneries qui sortent sur le sujet : https://www.poynter.org/ifcn-covid-19-misinformation/
Et si vous voulez toutes les infos sur le coronavirus en Suède, allez faire un tour sur l’article de La Suède en kit, qui recense toutes les actualités au jour le jour sur le sujet : https://www.lasuedeenkit.se/le-covid-19-en-suede/
NB : La photo en tête de cet article a été prise en 2017 à Stockholm.
13 Commentaires
100% d accord avec toi sur tout, absolument tout ?
Après avoir lu ton article, je comprends pourquoi ;)
J avais essayé moi aussi à ma façon il y a quelques temps ? https://stockholmania.tours/francais/2020/03/24/en-suede-la-voie-lactee-les-sioux-et-les-papous/
Merci pour cet article très objectif et où on peut lire aussi votre sentiment personnel. J’espère que tout ira bien pour vous en Suède et pour votre famille en France
Et oui, il y a une vraie différence culturelle entre nos pays et seul l’avenir nous dira quels était la politique à adopter… Ou pas ?
Je comprends mieux la position du gouvernement suedois à présent. Décidément, nous abons beaucoup à apprendre d’eux !
Une grosse différence avec nous! Qui a raison???
Ne t’inquiète . Poupoumeon prend le maximum de précautions
Bonjour, je pense qu’un facteur important est le fait que Malmö et la Scanie en général ont été très faiblement touchées par le virus pour le moment probablement car la fermeture de la frontière avec le Danemark a plus ou moins isolé la Scanie. La Scanie représente 13% de la population suédoise pour seulement 3% des morts tandis que la région de Stockholm représente 23% de la population et 55% des morts. Le risque c’est que le virus commence à se répandre à Malmö lorsque le Danemark mettra fin à son confinement et donc on aurait un pic ici bien plus tard qu’à Stockholm.
Site intéressant à suivre pour avoir les données du virus en Suède : https://c19.se/
Marine, au-delà des chiffres et suite à votre stratégie de ne pas confiner comme en France, à présent, quelle est la situation de l’épidémie chez vous ? Le pic est passé ?
Bonjour Patrick, merci de votre passage sur le blog. Je ne suis pas experte donc ne prenez pas ce que je dis pour parole d’évangile mais les autorités sanitaires rapportaient une baisse du nombre de patients en soins intensifs en fin de semaine – ce qui indiquerait que le pic est effectivement passé. Le plus gros foyer reste Stockholm et sa région, et la Scanie, où se trouve Malmö semble toujours plutôt épargnée. On nous dit depuis le début qu’on se trouve 2-3 semaines derrière Stockholm en terme de propagation mais on n’a rien eu de semblable à ce qu’a connu la capitale pour l’instant. Aucune mesure supplémentaire n’a été prise depuis que j’ai écrit l’article.
Merci pour votre réponse. En tout cas, au regard du nombre de morts par rapport à la population et celui en France, le “non confinement” chez vous n’aura pas accentué l’épidémie. Mais clairement, la Suède est certainement un pays qui se montre bien plus respectueux dans les conseils sanitaires .
En tout cas, votre blog est vraiment très sympa.
Je vous remercie pour cet article que j’ai trouvé particulièrement intéressant tant sur la situation en Suède mais aussi sur l’ambivalence d’être un français de l’étranger qui vit en Scandinavie. Je vis moi même en Norvège depuis douze ans et je partage tout à fait le sentiment que vous décrivez en disant que c’est rassurant et reposant de ne pas céder à la panique, de ne pas parler uniquement de Corona virus et également de ne pas voir le mal partout. Je me permets d’ajouter une petite correction à votre article; la Norvège n’a jamais instauré le confinement; les ressortissants ont toujours été libres de circuler sauf pour les personnes en quarantaine (autorisées à sortir de chez elles mais à ne voir personne) et les personnes en isolement (confinées elles, malades avec symptômes Covid-19 sans pour autant être dépistées). Les écoles et kindergarden ont été fermées pendant plus d’un mois également.
Bonjour Caroline ! Merci de votre passage sur le blog, et merci des précisions à propos de la Norvège. J’ai effectivement lu que les écoles avaient fermé et certainement les frontières aussi, et du coup j’ai pensé qu’il s’agissait d’un confinement semblable à celui du Danemark. Donc merci de corriger cela ! J’espère que tout ira bien pour vous et votre famille.